L’acculturation à la data n’est pas un travail unidirectionnel

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Je travaille dans ce domaine depuis près de 10 ans. Et pourtant, je reste impressionné, parfois apeuré, devant la quantité de nouveautés annoncées par tous ces acteurs de la Data et de l’IA qui publient révolution sur révolution.

Mettons-nous maintenant à la place des personnes ne venant pas de ce monde : Product Owners, Software Engineers, Business Owners, etc. Si en tant qu’acteurs de la data on peut se sentir dépassés, comment imaginez-vous que ces personnes se sentent face à ce domaine ?

Face à ce constat, les entreprises expliquent vouloir créer une culture data, et acculturer les métiers et les stackeholders à la data.

Mais c’est un chemin difficile, avec de la résistance au changement à la clé.

Mon feeling me dit que cette difficulté est en grande partie due au fait que nous, les data practitioners, essayons de faire adhérer les autres métiers à notre langage, sans réellement chercher à comprendre leurs besoins.

Nous mettons souvent l’accent sur ce qui rend la data si spéciale, plutôt que d’insister sur ses points communs avec d'autres domaines comme l’Engineering ou le Product Management.

Je vous propose de voir l’acculturation à la data comme une quête bidirectionnelle, et non quelque chose à sens unique.

L’intérêt ? Que chacun, de part son domaine d’expertise, puisse créer des liens avec les sujets qui leur sont familier, plutôt que de devoir s’approprier de nouveaux concepts éloignés de leur expertise du quotidien.

En trois mots : Connecting The Dots.

Voyons cela plus en détails.

Le problème avec le terme “acculturation”

Même si notre ami Robert définit l’acculturation comme un “processus par lequel une personne ou un groupe assimile une culture étrangère à la sienne”, je ne peux m’empêcher de penser que lorsque nous essayons d’“acculturer les gens à la data”, il y a une forme de rapport dominant / dominé et sachant / non sachant qui se met en place.

Et c’est là tout le problème.

La réaction naturelle lorsque l’on cherche à vous imposer (ou inculquer) quelque chose est de se mettre sur la défensive pour défendre ses idées, son métier, voire son avenir.

Le problème de l’acculturation à la data : nous cherchons à convaincre, ils cherchent à se défendre.

N’encourageons pas le caractère mystique de la Data

Il y a fort à parier que les personnes non initiées à la data ne voient ce domaine que par le prisme de ce qui est le plus visible, c’est-à-dire les dernières révolutions publiées par les géants du web et qui impactent le grand public.

Elles n’ont pas le temps de démêler le vrai du faux, et ce n’est pas leur métier.

Elles ne voient que ce qu’on leur montre, et cela ne fait qu’accentuer leur impression initiale, à savoir : “la data est un monde à part, trop éloigné du mien”. Pire : “je ne comprends pas bien ce qu’ils font, mais ça commence à me faire peur”.

Et ce ne sont pas les dernières avancées autour de l’IA Générative qui vont freiner ces ressentis.

Nous sommes donc en train d’entretenir et d’amplifier jour après jour un décalage entre la data et le reste du monde :

  • Les personnes qui ne travaillent pas dans la data tendent à la voir comme un monde complètement différent du leur, composé de nouveaux outils et d’un savoir-faire extrêmement complexe à acquérir si l’on veut s’y intéresser ;
  • Celles qui travaillent dans la data tendent à penser qu’ils vivent dans un écosystème à part entière, à qui on dit qu’ils ont “le métier le plus sexy du siècle” et qui sont mises dans des équipes et des conditions de travail spéciales. Bonjour l’égo.
Nous en sommes arrivés à un stade où la simple prononciation des mots “Data” ou “IA” fait résonner un côté mystérieux, différent, voire effrayant.

Le choix des mots est donc cruellement important dans l’adhésion que vous susciterez dans votre démarche de créer une culture data à l’échelle de l’entreprise.

Si vous assommez vos interlocuteurs avec des termes qui ne parlent qu’à la communauté data, ou qui sont générateurs de débats et de craintes pour le grand public, il vous sera difficile de susciter l’adhésion et l’engouement auprès de vos interlocuteurs.

Au contraire, si vous parlez de ce qui rassemble tout le monde, si vous partez du besoin de chacun, de ce que vous cherchez à créer et comment on peut y parvenir en joignant les forces de la data et des autres équipes, vos chances de réussite seront plus grandes. A minima, vous aurez une oreille plus attentive.

Apple l’a bien compris et a réussi le tour de force de ne pas prononcer une seule fois le terme “AI” lors de la dernière WWDC, préférant employer d’autres tournures pour montrer à quel point la technologie est au service de l’expérience utilisateur, et non l’inverse.

Utiliser les buzzwords avec parcimonie, et gare aux raccourcis

La Data, c’est un peu buzzword-land.

Je n’ai pas de problème particulier avec ces buzzwords, je ne m’empêche pas de les utiliser d’ailleurs. Ce qui est important, c’est de savoir pour quelle raison on les utilise.

Si le buzzword est employé pour aider la communauté dans la prise de conscience d’une nécessite de changement et d’évolution, alors OK.

Un buzzword comme Data Mesh ou MLOps aide à conscientiser un problème et aide à fédérer un groupe autour d’un but commun.

Tant que l’on maitrise le sens derrière ces mots, tout va bien.

Le problème, c’est que très vite des raccourcis peuvent être pris, et l’on se retrouve vite à oublier la raison pour laquelle le concept a été créé au départ, ainsi que sur quelles bases il s’appuie.

Des personnes se les accaparent et les utilisent dans les mauvais contextes ou approximativement pour renforcer leur crédibilité jusqu’à ce que la signification du buzzword se dénature.

Un buzzword peut entretenir une Fear Of Missing Out (FOMO, peur de rater quelque chose) et faire faire des choix pour les mauvaises raisons :

  • Tout le monde investit dans une plateforme MLOps, je devrais peut-être le faire aussi”
  • Tout le monde semble s’orienter vers le Data Mesh, il doit y avoir une bonne raison”
  • Tout le monde parle de Modern Data Stack, il faut peut-être qu’on fasse évoluer la nôtre”
Le risque est donc de s’éloigner de l’essentiel, à savoir être conscient du problème que l’on essaye de résoudre au départ dans notre contexte singulier.

L’impact passe par la collaboration

Et pourtant, force est de constater que les initiatives data sont encore loin de toutes être couronnées de succès. Si l’on tend vers une meilleure maturité des initiatives et équipes data, il reste encore énormément de travail pour gagner en impact par la data à l’échelle de nos entreprises.

Quand on nous dit que l’on a le métier le plus sexy du siècle, forcément cela flatte l’égo. On se sent valorisé.

Et puis vient le temps de la réalité du quotidien, où les mises en production sont difficiles, où les données ne sont pas avec le bon niveau de qualité, où les besoins métier sont mal cadrés et où on commence à sérieusement nous demander des comptes sur notre apport de valeur.

Pourquoi tant de difficultés ? Parce que la data n’est qu’une petite brique dans tout un écosystème d’entreprise.

La question est donc de savoir comment passer outre ces décalages et vraiment franchir un cap vers la démocratisation de la data en entreprise ?

N’oublions donc pas que l’un des principaux objectifs de l’acculturation à la data est de nous permettre de mieux travailler ensemble. Nous avons besoin les uns des autres pour créer de l’impact.

C’est donc par la collaboration et la compréhension de nos besoins mutuels que l’on pourra générer de la valeur.

Prenons deux exemples assez parlants de sujets du moment : le Data Mesh et le MLOps

Le Data Mesh : par la data, pour la data

L’objectif du Data Mesh est de gagner en impact au sein de l’entreprise grâce à la data, en répondant notamment aux problèmes générés par la centralisation des assets et des équipes qui deviennent un bottleneck dans les entreprises.

La créatrice du concept en parle comme d’un paradigme socio-technique, en insistant bien sur le “socio” car le sujet va bien au-delà d’une transformation technique de ses infrastructures et plateformes Data. Il impacte de nombreux profils, de nombreuses équipes et doit toucher les instances stratégiques.

Le problème avec le terme “Data Mesh” est qu’il est, comme son nom l’indique, orienté Data.

C’est un concept créé par des gens de la data, qui s’adresse à des gens de la data.

Il devrait cependant, par définition, s’adresser à toute l’entreprise afin de la convaincre de la nécessité d’évoluer pour gagner en impact.

Parler dans un langage data n’aide pas à susciter l’adhésion et l’envie auprès des autres experts.

Combien d’articles mentionnent le fait que le Data Mesh prend racine dans des shifts qui ont déjà été opérés il y a des années dans le domaine du Software, à savoir le Domain Driven Design ?

Il est important de savoir reconnaître que l’on s’inspire de ce qui existe déjà et de ce qui a fait ses preuves, pour l’étendre et l’appliquer à son propre contexte et ses spécificités.

Le MLOps : beaucoup de ML, peu de DevOps

Quand on parle MLOps, à l’heure actuelle, on pense énormément outils. Telle nouvelle stack pour le monitoring du drift des données, tel outil pour déployer automatiquement son pipeline de Machine Learning, etc.

Beaucoup s’accordent à dire que le MLOps est l’extension du DevOps aux spécificités du Machine Learning.

Mais dans ce cas, embrassons totalement le mouvement DevOps, pas juste ses outils. Le DevOps a des années de maturité derrière lui, et son pan “culture” est enfin mieux compris et priorisé.

Le DevOps, c’est un ensemble de principes conducteurs, avec maintenant plusieurs années de maturité. Ses acteurs ont compris l’importance des pratiques et de la culture, au-delà des outils.

Côté MLOps, la balance penche pour le moment très fortement en faveur des outils.

Or c’est tout l’inverse dont nous aurions besoin : créer une culture commune de ce qu’on attend d’un software à base de Machine Learning, et créer des pratiques communes afin de collaborer facilement, créer du software de qualité, et optimiser son cycle de développement.

Les outils ne vous serviront pas à grand chose si vous n’arrivez pas à créer une culture du partage, de collaboration et de confiance entre tous les acteurs nécessaires à la création de valeur par la data.

Cerise sur le gâteau : c’est en sentant que l’on contribue ensemble à créer quelque chose qui dépasse notre personne que l’on peut ressentir un véritable sentiment d’accomplissement de soi.

Créer une culture Data implique un changement … de la part de tous

Créer un changement culturel implique de toucher le coeur et l’esprit de chacun.

Créer une Culture Data au sein de l’entreprise, ce n’est pas “forcer” les gens à employer notre vocabulaire d’expert.

Au contraire :

  • C’est créer des connexions entre les concepts Data et ceux des autres domaines ;
  • C’est faire preuve d’empathie envers chacun des acteurs de l’entreprise ;
  • C’est comprendre le langage et comprendre le quotidien de chacun ;
  • C’est comprendre leurs craintes aussi.
En tant que membres de ce monde merveilleux de la Data, il est de notre responsabilité de le démystifier et de le démocratiser en s’adaptant au contexte de chacun.

Et cela passera par réfléchir à comment mieux collaborer avec nos collègues plutôt que de rester dans notre bulle.

Les entreprises ont cruellement besoin d’améliorer leur culture data. Mais la data a aussi cruellement besoin d’améliorer sa culture business, software et produit.

La Data, c’est du Software. C’est aussi du Produit. Mais c’est avant tout de la Culture.

Construisons-la ensemble !

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